MICHELER, qui s’énerve
Ah bordel… Pardon. Putain, on y va ou on n’y va pas ?
POINCARÉ
Général Micheler, ce sont vos troupes qui sont concernées par le fameux Chemin des Dames.
MICHELER
Affirmatif.
POINCARÉ
Puis-je vous demander ce que vous pensez du plan d’attaque en général et du secteur du Chemin des Dames en particulier ?
MICHELER
Je ne partage nullement… enfin pas tellement les objections de principe que le ministre de la Guerre… enfin je veux dire d’une offensive massive destinée à obtenir la rupture. En fait je veux dire… euh… comment dire ?
POINCARÉ, impatient
Que voulez-vous donc dire ?
MICHELER
Rien… Enfin si. Comment dire ? Ben c’est dans ce cadre que nous travaillons. Et tant mieux car c’est ce que demande la situation actuelle qu’il s’agit de… comment dire ? D’imposer sa volonté à l’ennemi, comme l’a rappelé le général en chef. Pour ce faire, il faut une attaque plus violente et plus brusquée que tout ce que l’on a connu à ce jour.
POINCARÉ
Une attaque…
MICHELER
… brusquée.
POINCARÉ, qui essaie de suivre
Une attaque brusquée ?
MICHELER
C’est ça, une attaque brusquée. On l’oublie trop souvent, celle-là.
POINCARÉ
Alors, allez-vous réussir, par cette attaque…
MICHELER
… brusquée…
POINCARÉ
… brusquée et violente, à rompre les lignes ennemies ?
MICHELER, sans hésitation
C’est possible.
POINCARÉ
Ah !
MICHELER
Enfin en fait c’est hélas peu probable. Enfin je veux dire… Pour des raisons qui ne doivent rien aux principes évoqués par le ministre de la Guerre mais à quelques contingences… (il s’arrête).
POINCARÉ
Des contingences…
MICHELER
Tactiques. Des contingences tactiques. Voilà. C’est tactiques.
POINCARÉ
Vraiment ? Tactiques ?
MICHELER
Eh oui. Dans mon secteur difficile du Chemin des Dames, le barrage d’artillerie doit avancer de soixante mètres par minute. Alors c’est embêtant. C’est même très embêtant.
POINCARÉ
Et pourquoi donc ?
MICHELER, pour lui-même
C’est embêtant.
POINCARÉ
Embêtant ?
MICHELER
Eh bien, l’infanterie… l’infanterie elle devra se caler sur ce rythme. Or je doute que dans ce secteur nous ne rencontrions pas d’obstacles vu la nature du terrain, les creutes…
POINCARÉ
Vous doutez que le barrage d’artillerie détruise toutes les défenses ennemies ?
MICHELER
Oui et non, enfin peut-être. Sur ce point précis je partage l’inquiétude de Painbrûlé…
POINCARÉ
Levé !
MICHELER
Levé quoi ?
POINCARÉ
Pain levé.
MICHELER
Ah oui, le ministre de la Guerre. Si effectivement nous avançons comme prévu la première journée, que se passera-t-il ? Je me le demande.
POINCARÉ
Oui, moi aussi.
MICHELER, avec un grand sourire
Ah, ah, vous aussi !
POINCARÉ
Et que répondez-vous ?
MICHELER
Ah, ah. Je crois que nous ne trouverons pas, sur ce terrain difficile, les voies de communication suffisantes pour amener des renforts et surtout l’artillerie.
POINCARÉ
Vous croyez ou vous savez ?
MICHELER
Nous nous retrouverons… comment dire… plaqués au sol, c’est ça, plaqués au sol, sans soutien et à la merci d’une contre-attaque. Enfin, je veux dire…
POINCARÉ
Excusez mon ignorance et ma naïveté, général Micheler…
MICHELER
On ne peut pas tout savoir.
POINCARÉ
Mais vous décrivez là ce qui s’est passé depuis trois ans pour toutes les offensives qui ont réussi.
MICHELER, étonné
Les offensives qui ont réussi ?
POINCARÉ
Oui, un succès tactique initial, une avancée de quelques kilomètres au prix d’ailleurs de pertes supérieures à celles des défenseurs, un bulletin de victoire triomphal par un général en mal d’avancement.
MICHELER, souriant
Ah, ah, oui, l’avancement.
POINCARÉ
Mais malheureusement dans les jours qui suivent une contre-attaque nous oblige à annuler tous nos gains.
MICHELER, troublé
Oui, enfin, bon… il ne faut pas non plus…
POINCARÉ
Je constate qu’après trois années de bulletins de victoires ininterrompus et de sacrifices inouïs, nous en sommes toujours au même point qu’à l’automne 1914.
MICHELER
Eh bien… Si vous le dites…
POINCARÉ
Je le dis en effet. Mais ma question n’est pas celle-là.
MICHELER
Ah oui ! Alors, quelle est votre question, monsieur le président de Poincaré, euh… de la République ?
POINCARÉ, comme s’il s’adressait à un enfant
Notez bien que ce n’est pas pour critiquer. C’est juste pour comprendre.
MICHELER
Bien sûr.
POINCARÉ
Pouvez-vous me dire, compte tenu des objections tactiques que vous avez développées, ce qu’il y a de réellement nouveau et original dans le plan d’attaque actuel et qui serait de nature à nous rassurer ?
MICHELER, il se retourne, comme s’il était cerné
Ah, voilà une question.
POINCARÉ
Oui, voilà une question.
MICHELER, il réfléchit intensément
Eh bien, peut-être la quantité des moyens mis en œuvre.
POINCARÉ
Mais ne venez-vous d’avouer que vous ne pourrez pas utiliser ces moyens à cause des voies de communications insuffisantes ?
MICHELER, embarrassé
J’ai dit cela, moi ?
POINCARÉ
Mais oui vous avez dit cela.
MICHELER
Oui je l’ai dit. Et pourquoi j’ai dit ça ? Parce que la météo aura son rôle à jouer. Voilà pourquoi j’ai dit ça. C’est pas compliqué à comprendre tout de même.
POINCARÉ
Je ne comprends pas.